Souvent dénoncés, difficiles à prouver, les objectifs chiffrés en matière de sanction des infractions routières font de nouveau parler d'eux. La nouveauté cette semaine est que les accusations d'Auto Plus s'appuient cette fois, non seulement sur des témoignages et des dénonciations de syndicats de policiers, mais sur des documents écrits. Dans son dernier numéro, le magazine reproduit quelques circulaires édifiantes.
On apprend par exemple dans l'un de ces documents, qui concerne une brigade motorisée urbaine de la Marne, que les forces de l'ordre seront tenues sur l'année de "réaliser a minima les objectifs suivants" : en matière de non-respect de feux rouges, 35 TA (timbres amendes) devront être établis ; pour défaut de contrôle technique, 110 TA ; ou encore 66 TA pour non-port de la ceinture de sécurité. Le plus surprenant dans ce document est qu'il semble fixer des objectifs de manière arbitraire, sans chercher le moins du monde à les justifier. Autre exemple du même type : à Paris, les policiers sont tenus, selon Auto Plus, de dresser 100 PV par mois.
"Tous les débordements sont possibles"
Ces documents ne sont pas en soi les premiers du genre, puisqu'une note du même type avait été rendue publique à Dunkerque il y a deux ans. Mais rarement accusations ont été aussi étayées. Les témoignages ne sont par ailleurs pas absents de ce nouveau dossier à charge, puisque le magazine a aussi interrogé un gendarme d'Ile-de-France. Il évoque la pression qu'il subit : "Lors des services de nuit, les contrôles prévus pour quatre heures peuvent durer deux de plus si l'on n'atteint pas le résultat escompté par la hiérarchie". Avec comme conséquence possible, assure Auto Plus, la verbalisation d'automobilistes qui n'étaient nullement en infraction... Interrogé sur France Info, Pascal Pennec, rédacteur en chef adjoint du magazine, martèle que les forces de police "n'ont plus le choix. C'est la culture du résultat. Il faut rapporter ce quota de PV. Si ça n'est pas réalisé, tous les débordements sont possibles".
Officiellement pourtant, la gendarmerie assure que de telles pratiques sont interdites : "La direction générale de la gendarmerie nationale donne des orientations d'ordre général mais interdit formellement les objectifs chiffrés". Et le ministère de l'Intérieur dément l'existence d'objectifs nationaux en termes de "quotas". "Le seul objectif", souligne son porte-parole Gérard Gachet, "c'est de faire diminuer le nombre de morts et de blessés, ce qui a été fait avec succès". Pour lui, il "peut exister localement des directives" de la hiérarchie "comme cela se pratique dans le privé", mais "cela doit être fait avec discernement et bon sens".
Un argument régulièrement évoqué lorsque de telles accusations sont formulées, et de nouveau battu en brèche par les syndicats policiers : Nicolas Comte, secrétaire général du syndicat général police-Force ouvrière (SGP-FO) dénonce lui aussi "la religion du chiffre à tout prix", soulignant que "même si dans une ville, l'accidentologie baisse, les services devront obtenir des résultats plus élevés que l'an passé". Le syndicaliste avait déjà dénoncé fin 2008 des "mises en garde" adressées à des policiers par leurs chefs de service en raison d'une "trop faible activité contraventionnelle". Les policiers devaient, selon lui, signer les lettres de mise en garde et "s'engager à faire mieux et plus en matière de PV". Pour Pascal Pennec toutefois, la difficulté de l'appréciation de cette course aux PV réside dans le fait que "la pression n'est pas la même partout. Cela correspond toujours à des endroits précis". Souvent, il suffit d'un "chef qui veut faire du zèle". Auquel cas, les policiers "sont obligés de suivre", et deviennent "corvéables à merci".
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