Les histoires de roues démarrent le plus souvent avec les quatre de la poussette, mais les deux rapidement entrent dans nos vies. ça a été comme ça pour moi. Un vélo blanc (le MBK White c’était trop de la balle!), premières libertés de mouvement, dès les mains posées sur le guidon, un coup de pédale et hop, cheveux au vent, et alors les ballades dans le quartier, la mini aventure au bout du chemin, les casse-croûtes dans les vignes et les copains. A 14 ans un vespa et rebelote : un guidon, le vent dans la bouche, et alors aller partout toute seule, je parle et je chante dans mon casque, je sens l’odeur de la la campagne, celle de la ville, l’odeur de la nuit, l’odeur de la route un lendemain de pluie, l’odeur du danger aussi quand je rentre tard, mais je roule, je suis vivante. Ça mord, ça imprègne. A dix-huit ans une 125, à 20 ans le quad. Et toujours le même refrain : guidon, liberté, vent, et alors les chemins de traverse, la forêt, la rivière, les copains, les enduros, les courses sur glace, c’est n’importe quoi, j’y arrive pas, je me casse la gueule, mais je roule, je suis vivante. J’en ai fucking 46 aujourd’hui. VR46. Bientôt deux ans de permis moto. Comment j'ai pu passer tant de temps sans? Et toujours la même rengaine : un guidon, du vent, des odeurs, des routes, un compagnon, des amis, parler toute seule dans mon casque, parler à l’autre dans mon casque, le régime du moteur, les accélérations, les freinages et surtout les virages qui s’enchaînent, et des routes magnifiques, des paysages, entre deux trajectoires. A l’enfance, se sont ajoutées les sensations de l’adolescence, mêlées aux vibrations de la vie, se sont empilées les ivresses de vitesse, encore et toujours avec une liberté, vraie ou fausse on s’en fout. Ça a été tout ça pour moi devenir motarde, sans oublier le risque d’y laisser sa peau (et quelques os) : un concentré de tomate de la vie, les mains sur le guidon, toujours avec ce vent sur le visage. Je ne me sens pas légitimement motarde, je conduis mal, trop peu, trop tard, tombée, blessée, la peur au ventre désormais, les appréhensions qui ne me quittent plus depuis l’accident il y a un an. Je roule moins vite, moins bien, moins spontanément, quelque chose s’est brisé dedans, mais putain je le veux encore ce guidon entre mes mains, ce nez au vent et tout ce qui va avec, et tout ce qui est autour. Ça fait partie de moi, je roule, tant que je suis vivante.